Toutes les filières agricoles rencontrent actuellement de graves difficultés; hier c'était la filière du lait (le problème n'est que partiellement solutionné), aujourd'hui ce sont les producteurs de viande: bovine, porcine, volailles, qui sont mis en difficulté par la speculation à la hausse, sur le prix du maïs. Chaque été les producteurs de fruits et légumes manifestent leur mécontentement concernant les prix pratiqués par la grande distribution, et la concurrence des producteurs du sud. Les producteurs de céréales sont à la merci de la fixation de prix sur le marché mondial (Chicago), et de la spéculation qui s'y pratique. La situation de crise que vit actuellement l'agriculteur rochois, et plus généralement français, est liée aux politiques agricoles nationales et européennes menées depuis les années '50.
Nous ne pouvons pas, dans les limites d'un court résumé, écrire cette histoire, mais il est nécessaires d'en indiquer quelques éléments clés pour comprendre. En résumant, nous courons le risque de simplifier ou omettre certains faits importants; à vous de compléter et de corriger par vos commentaires pour que le compte-rendu soit plus proche d'une réalité très complexe.
- A la sortie de la guerre, et dans l'effort de reconstruction du pays, le Général de Gaulle avait décidé de coupler l'augmentation des rendements agricoles au développement des industries chimiques et mécaniques. Il est à noter que la France avait atteint l'autosuffisance alimentaire bien avant cette époque, et donc ce couplage était surtout à l'avantage des industries chimiques et mécaniques, qui avaient beaucoup de retard par rapport aux voisins de la France. Cela permettrait au passage de moderniser l'agriculture française et 'liquider' la paysannerie. Il s'agissait de mettre en place un nouveau modèle agricole, dont nous héritons aujourd'hui. On a donc créé un cercle vertueux: pour augmenter la production alimentaire il faut des engrais, des désherbants, et des pesticides (industrie chimique), et des tracteurs (industrie mécanique); en retour ces industries crée des emplois pour ceux qui quittent la campagne pour la ville; cette population urbaine croissante a besoin de nourriture en quantité plus importante.....etc... La consommation de produits "phytosanitaires" et d'engrais en France a été multipliée par 9 entre 1970 et 2000.
- La Politique Agricole Commune est constituée essentiellement d'aides et de subventions. Les objectifs de cette politique (largement influencés par la France, principal bénéficiaire) étaient de favoriser certaines productions: céréales pour l'exportation; augmenter les rendements, agrandir la taille des exploitations et ainsi "éliminer" les petites structures pour produire une alimentation "bon marché". Le paysan est devenu "exploitant", et la ferme "exploitation; on gère son entreprise comme une autre. Les agriculteurs des pays européens sont mis en concurrence entre eux; les fruits et légumes espagnols avec les productions françaises, et récemment les producteurs de lait allemands avec les producteurs français. L'élevage/polyculture est abandonné pour la mono culture d'un côté, et le "mono" élevage de l'autre pour des raisons économiques. Le risque que cela comporte (mettre tous ses oeufs dans le même panier!) n'était pas perçu pendant la période de montée en puissance de cette politique, car l'agriculteur était toujours assuré du soutien sans faille du gouvernement et de l'Europe. Les agriculteurs vivent à coup de subventions, alors que le consommateur ne paie pas sa nourriture au juste prix. Aucun gouvernement ne pouvait ignorer la demande d'une nourriture bon marché de la part des populations, ni négliger l'importance des exportations agricoles dans le balance des paiements.
Entre 1970 et 2000 le nombre d'agriculteurs est passé en France de 1 200 000, à 600 000.
- En 1994 l'agriculture est entré dans l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce), avec l'Accord Agricole de l'Uruguay Round. Les agricultures nationales sont mises en concurrence entre elles, et l'alimentation est réduite au statut de simple marchandise, véhicule de la spéculation et du profit. Ce moment marque l'hégémonie des multinationales de l'agro-business et de la distribution sur le monde agricole. Heureusement toutes les secteurs de l'agriculture ne sont pas encore concernées; les négociations de Doha sont bloquées depuis plusieurs années, car les pays du Sud et certaines ONG réclament le droit de protéger leur agriculture d'une concurrence inégale, et n'acceptent plus que les marchés des pays pauvres soient ouverts aux produits du nord, alors que l'Amérique et l'Europe subventionnent très fortement leurs agricultures. L'autosuffisance alimentaire de ces pays est à ce prix. Le souvenir reste vif des spéculations sur le prix du riz (céréale le plus mangé dans le monde) en 2008, lors que les traders ne pouvaient plus spéculer sur l'immobilier, alors qu'il y avaient des émeutes de la faim dans plusieurs pays du Sud. Nous avons appris pas plus tard qu'hier (16 octobre), à l'occasion de la journée mondiale contre la faim, que 3 millions d'enfants meurent de malnutrition chaque année, dix milles par jour!
- Les divers productions sont organisées en filières complexes pour assurer la transformation, le conditionnement, et l'acheminement vers les villes, et la distribution aux consommateurs. Dans ce modèle industriel, les produits agricoles voyagent beaucoup, mais surtout, l'agriculteur a perdu le contrôle sur ce qui se passe en amont comme en aval de son propre travail. Il maîtrise en rien les coûts de ce qu'il achète: engrais, désherbant, pesticides, aliments pour bétail, machines, qui sont lourdement tributaire du prix du pétrole. Il ne maîtrise pas non plus la fixation des prix de ce qu'il vend. Les multinationales de la distribution, et les grandes entreprises (souvent coopératives) de la collecte, transformation et conditionnement font pression sur le producteur pour réduire ses marges bénéficiaires pour pouvoir augmenter les leurs! Le noeud de la crise du lait en 2009/10 se résume à cette équation: les prix de tout ce que l'agriculteur achète sont en augmentation, et les entreprises de conditionnement et de distribution imposaient un prix d'achat du lait en-dessous du prix de revient du producteur. Beaucoup de producteurs de lait sont en grande difficulté car ils travaillent à perte depuis des mois. Et si les producteurs de lait disparaissaient?
Ces politiques se sont déployées pendant deux périodes distincts: dans un premier temps les "trente glorieuses", où tout semblait aller pour le mieux. A partir des année '70 avec la montée en puissance du néo-libéralisme, et l'idéologie de la main invisible du marché, les choses ont plutôt mal tourné pour les agriculteurs. Récemment le ministre de l'Agriculture, M. Bruno Le Maire, déclarait que la crise actuelle de l'agriculture posait pour la première fois la question de l'avenir de l'agriculture en France.
Et le consommateur dans tout ça?
2 commentaires:
Après guerre, il fallait aussi semble t-il recycler les armes chimiques, l'agriculture a du constituer un bon débouché !
Voir l'article de Wikipedia sur les pesticides http://fr.wikipedia.org/wiki/Pesticides qui dit entre autre "La Seconde Guerre mondiale a généré, à travers les recherches engagées pour la mise au point de gaz de combat, la famille des organophosphoré qui, depuis 1945, a vu un développement considérable encore de mise aujourd'hui pour certains de ces produits, tel le malathion."
La main invisible du marché n'est peut être pas si invisible que cela ...
Bonjour
Je suis habitant d'une commune du beaujolais et je suis tombé par hasard sur votre blog. Je trouve qu'il est intéressant car il a pour objectif d'impliquer le citoyen dans la vie de sa commune. L'article de fond sur le devenir de l'agriculture est très utile pour une compréhension des enjeux. Nous avons lancé au printemps une AMAP qui fonctionne avec 40 paniers. C'est un petit geste mais il permet à un agriculteur de notre commune de vivre décemment de son métiers.
J'anime un blog qui s'appelle le blog des 2 clochers et qui s'oppose fermement à un projet de multiservices dans notre village.Je sais que c'est difficile de convaincre les habitants d'un village à s'exprimer sur un blog mais je les exhorte à le faire: C'est la démocratie!
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