Une cinquantaine de personnes se sont retrouvés à la Salle d’Animation de Roche (gracieusement prêtée par la Commune). Parmi eux il y avait 6 intervenants venus d’ailleurs : 2 agriculteurs retraités qui ont cédé leurs exploitations à leurs fils, et qui représentaient deux mouvements du monde agricole : l’un Terre de Liens, et l’autre le Ceipal. Il y avait également 2 agriculteurs en activité : un producteur de viande bovine et ovine de Maubec, qui commercialise sa viande par un magasin collectif à Bourgoin, et qui est également le président du Comité Technique du Territoire Isère Portes des Alpes, et une agricultrice maraîchère en Bio, de Saint Georges d’Espéranche (le Jacqueron), où ils sont 4 d’une même famille (dont un paysan boulanger) à produire et à vendre en directe depuis l’exploitation (38ha) légumes, pain et farine. Ils organisent chaque semaine, avec un réseau de producteurs locaux, la vente de paniers d’autres produits : viande de bœuf et de porc, œufs, volailles, fromages, fruits, miel etc. Deux citoyens consommateurs, représentants d’une AMAP de Villefontaine complétaient, avec un membre du collectif organisateur, le « panel » des intervenants.
Nous avons choisi ces intervenants d’abord parce que ce sont des amis et connaissances, et parce qu’ils (elles) sont engagé(e)s dans des voies alternatives diverses. Il n’était pas question dans nos esprits de dire « voilà ce qu’il faut faire », car nous sommes conscients que les territoires et les systèmes d’exploitation sont trop complexes pour pouvoir reproduire partout le même modèle. Et puis tout le monde n’est pas appelé, ni désire pratiquer une seule forme d’agriculture. D’autre part, les témoignages de certains intervenants ont démontré que les « alternatives » ne sont pas sans difficultés. Néanmoins, la commune de Roche se trouve proche, du fait de l’implantation de la Ville Nouvelle, de centres urbains, où il y a une population qui cherche à manger des aliments sains, et à s’approvisionner localement. La taille relativement modeste des exploitations Rochoises serait plutôt bien adaptée à répondre à ce type de demande.
Notre objectif était d’ouvrir un débat avec les agriculteurs de Roche sur l’avenir de leur activité dans la commune ; la situation des exploitations Rochoises, et notamment les éleveurs de vaches laitières, est extrêmement difficile. L’agriculture a toujours été l’activité économique principale de la commune, et la disparition progressive des troupeaux de vaches laitières, et avec elles les agriculteurs à plein temps, affaiblit son « caractère rural ». La commune risque de devenir commune résidentielle, voire commune ‘dortoir’.
Nous n’avons pas réussi à faire déplacer les agriculteurs en activité, mais trois agriculteurs retraités de la commune étaient présents. Leur présence et leur participation au débat nous encourage à penser que les questions que nous posons sont d’actualité, et qu’il est urgent de développer un travail de réflexion avec le monde agricole, en vue de faire des propositions pour le maintien d’une agriculture diversifiée, et des agriculteurs à plein temps dans la commune. Dans la salle il y avait au moins deux autres agriculteurs, des habitants de Roche et les communes environnantes.
Nous avons organisé la réunion avec trois temps distincts : la situation de l’agriculture, les causes des difficultés, les perspectives d’avenir. Cette organisation nous a permis de passer en revue toutes les questions, et en même temps d’instaurer un échange entre les intervenants et la salle tout au long de la soirée, sans avoir à attendre la fin d’interventions « trop longues ». Ici nous allons tenter de faire un résumé de ces débats, sans entrer dans le détail. D’ici quelques jours, vous trouverez sur le blog un compte-rendu complet de la réunion : le contenu des interventions et du débat avec la salle.
L’agriculture Rochoise, comme toute l’agriculture française, a été l’objet de politiques nationales et européennes visant l’augmentation de la productivité : produire plus, devenir plus gros. Ces politiques, appelées « productivistes », poussaient à se spécialiser ; d’un côté les éleveurs, de l’autre les cultivateurs. On a abandonné la sagesse de l’agriculture traditionnelle en élevage/polyculture ; comme le disait un intervenant : « la vache est l’animal qui fertilise la terre ». Les cultivateurs sans animaux doivent acheter des engrais chez l’industrie chimique, et les éleveurs sont amenés à acheter des protéines végétales (le soja). Il y a une perte d’autonomie : en amont on dépend de multinationales chimiques et semencières, en aval de l’agro-business de la collecte et de la transformation.
Les multinationales de la distribution réclament des prix de plus en plus bas, soi-disant au nom du consommateur. La part de l’alimentation dans les dépenses des ménages en 1960 était de 26%, en 2009 de 13%. En amont les prix des produits chimiques et des aliments du bétail augmentent constamment à cause de l’augmentation du prix de l’énergie (pétrole) dépensée à les produire et à les transporter. L’agriculteur est étranglé, car il est amené à vendre ses productions en dessous du prix de revient. Les subventions européennes ne compensent pas la baisse des prix agricoles, et de toute façon ces subventions vont surtout aux ‘gros’.
Il faut être compétitif, et dans cette compétition, seuls les plus gros survivent. Dans le domaine du foncier, lors que des terres deviennent vacantes, en général les grosses exploitations ‘récupèrent’ tout, car elles sont seules à avoir une capacité d’investissement. Il n’y a pas de la place pour la petite exploitation dans ce système. Les exploitations Rochoises ont une taille moyenne entre 20 et 50 hectares (statistiques DDA) et se trouvent dans une situation que certains agriculteurs qualifient de catastrophique. Seule une des exploitations laitières répond aux normes actuelles. Il y a un signe qui ne trompe pas : peu de jeunes veulent reprendre les exploitations à plein temps. Avec des animaux vous travaillez 7 jours sur 7, 365 jours par an, entre 50 et 60 heures par semaine, et en plus vous ne gagnez pas le SMIC. On ne peut rien leur reprocher ! Est-il possible de contrer ces évolutions ?
Le consommateur de son côté est de plus en plus insatisfait des produits alimentaires que l'on lui propose dans la grande distribution. Les fruits et légumes manquent de goût, ont subi trop de traitements, et ont voyagé trop loin; les plats cuisinés sont de mauvaise qualité nutritionnelle, contiennent trop de sucres, de sel, de colorants ou de conservateurs.Un nombre important de consommateurs cherchent à s'approvisionner en légumes, fruits, viandes, oeufs, fromages, volailles etc. auprès de producteurs locaux. Ils cherchent à nouer des relations de confiance avec les agriculteurs avec qui ils passent des contrats (Les AMAP). Est-il possible de faire rencontrer une demande locale des consommateurs et l’agriculture Rochoise qui n’est pas du tout tourné vers cette demande ? Est-ce que cette voie là constitue une solution pour retrouver une agriculture vivante et capable d’attirer des jeunes ?
Quelques pistes ont été suggérées pendant la soirée, pour que les exploitations redeviennent autonomes, et dégagent de la plus-value, seul moyen de les rendre rentables :
- D’abord, le travail en commun ; créer des collectifs de travail (style GAEC) qui permettent de prendre des week-ends et des vacances à tour de rôle. Créer des CUMA pour partager les investissements en machines ; un jeune agriculteur avance l’opinion (audacieuse !) que l’on n’a pas besoin chacun de ‘son’ tracteur. Se réunir ensemble avec la collectivité et les citoyens pour décider de la répartition de terres devenues vacantes. Faire ensemble avec ses voisins des gros travaux dans les champs. Résister ensemble aux tentatives de faire baisser les prix.
- Revenir à l’élevage/polyculture pour réduire ses dépenses en amont (moins ou pas d’engrais). Composter. Cultiver des légumineuses pour produire ses propres protéines végétales, et fixer l’azote de l’air dans le sol. Travailler ses prés.
- Réduire sa dépendance en aval en passant à la vente directe.
Un agriculteur Rochois présent dans la salle a conclu les débats de la soirée en confirmant la situation difficile de l’agriculture à Roche, et en exprimant l’opinion que les choses ne pourront évoluer que très lentement. Et que peut-être le changement viendrait de jeunes extérieurs de la commune.
Les débats ont continué bien après minuit d’une manière informelle autour d’un verre de l’amitié.
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